«Nous
voulions être le plus près possible de lui»
ROME, ENVOYÉ SPÉCIAL Un million de
personnes ont assisté aux obsèques de Jean Paul II Toute la nuit des processions
de fidèles ont sillonné les rues de la capitale Beaucoup ont à peine dormi,
pour, au petit matin, se rapprocher le plus possible de la place Saint-Pierre
Par Marc SEMO
vendredi 08 avril
2005 (Liberation.fr - 15:44)
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Même en se tordant le cou
et en se mettant sur la pointe des pieds, elles n'arrivent à voir qu'un bout de l'écran
géant où défilent les images de la messe. «Mais qu'importe, on a réussi à arriver
là, jusqu'à la via della Conciliazione tout près de la Basilique alors qu'on ne pensait
même pas réussir à sortir de la gare», raconte Yolande de Maupéou. Elle est partie
hier soir de Paris par le train avec cinq copines. «Nous nous sommes décidées au dernier
moment. Nous sentions ce besoin absolu d'être là. Ce pape s'est tellement bougé pour
nous que nous devions aussi nous bouger», explique la jeune femme qui a laissé à Paris
son mari débordé de travail et plutôt casanier pour garder leurs cinq enfants. «On
ressent cette disparition comme celle d'un membre de notre famille proche», renchérit
une de ses amies professeur dans une école catholique.
Autour
d'elles, la foule immense et recueillie. Les lèvres murmurent les prières. Partout
des drapeaux. Des bannières brésiliennes ou argentines. Drapeau français ou espagnol. Chaque groupe brandit le sien
pour rappeler que le pape était mondial comme le proclame une gigantesque banderole :
«Des Apennins aux Andes Jean Paul II le grand.»
Les Polonais
arborent le rouge et le blanc. Il y a ceux de la diaspora, venus de toute
l'Europe mais aussi des Etats-Unis, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Et il y a ceux venus du pays par centaines
et centaines de milliers qui dès jeudi soir avaient envahi par petits petits groupes
toutes les rues de la capitale confluant vers la place Saint-Pierre pour être aux
premières loges. «Nous voulions être le plus près possible de lui pour cette dernière
nuit et le réchauffer de nos curs», explique le père Jacek Kuczmier venu avec ses
paroissiens d'un village près de Cracovie. Chaque groupe porte une pancarte avec le
nom de sa paroisse ou de sa ville. Ceux de Chlem qui fut avant la Shoah un grand centre de
la vie juive polonaise ont écrit le nom de la ville en lettres hébraïques à côté de
la graphie polonaise. «Ce
pape nous a rappelé que les juifs étaient nos frères aînés», assure avec un sourire
un étudiant. Tous ont voyagé en train ou en car pendant plus de vingt-quatre heures.
Puis ils ont dormi dans des campements de fortune, emmitouflés dans des couvertures sur
les trottoirs, se serrant pour lutter contre le froid de la nuit. Les piles de packs d'eau
minérale déposés par la protection civile italienne se sont transformés en autant
d'autels improvises, ornés de l'inévitable drapeau polonais et de photos du pape. Cette
nuit ils y ont déposé des bougies et prié à genoux pour oublier le froid.
Toute la nuit des processions de fidèles ont parcouru les rues de la Ville éternelle. La plus importante était partie
de la basilique Saint-Jean du Latran pour se diriger vers le Circo Massimo, près du
Palatin où avait été installé un camps de tentes et des écrans géants. Ils étaient plus de 50.000 à marcher,
tous tenant une bougie à la main. Une foule silencieuse où chacun murmurait les prières
dont le «je vous salue Marie». Beaucoup ne se sont même pas ensuite
arrêtés pour se reposer. Il fallait être là près de la place, «le plus près
possible de lui.»
La quasi totalité d'entre sont des jeunes de la «génération Jean Paul II», ceux qui
se mobilisaient pour les Journées Mondiales de la Jeunesse qu'il avait créées. Quelques-uns sont plus âgés. Cristina
Lunel, 48 ans, est venue toute seule. «Une nécessité pour moi même si je ne suis pas
pratiquante car j'ai admiré profondément ce pape», explique cette employée dans un
centre pour personnes âgées de Vincenza (Vénétie). Elle a pris son sac de couchage et
s'est assoupie sur une petite pelouse au milieu de tentes de pèlerins polonais. «J'ai
dormi profondément, sereinement sentant que j'avais fait ce que je devais faire», ajoute
t elle. Comme la plus part des autres pèlerins, elle repartira juste après la messe.
Sur l'écran
géant continuent de défiler les images de la cérémonie. Le cardinal Joseph Ratzinger,
inflexible gardien du dogme rappelle la vie de Jean Paul II. Tous suivent attentivement,
sans un mot, le regard brillant. Ils ont oublié la fatigue et les interminables attentes
devant les WC publics. Ils sentent vivre tous ensemble un moment historique. Yolande de
Maupeou sourit : «Le cur a ses raisons que la raison ne connaît pas.» |